9____ Gilles.
GILLES
-Gilles,
dépêche-toi ! Debout !
J’ouvre
les yeux en grommelant, la tête enfouie dans mon oreiller.
-Giiilles,
tu m’écouuutes ?
Maman
entre dans ma chambre, non sans discrétion, et ouvre les fenêtres. Le bois de
l’encadrement de mon carreau heurte le mur, une brise s’engouffre dans la
pièce, et le soleil m’éblouit, ce qui a pour don de m’éveiller définitivement.
-Allons
debout !
-Rah
maman c’est bon là, j’suis réveillé là !
Je
la fixe. Ma mère est une bonne femme énorme, elle porte une robe de chambre
rose, qui laisse à découvert ses poignets, ses chevilles et son cou blanc et
gras. Je ne sais pas vraiment ce qui a pu motiver Papa de partager sa vie avec
un monstre pareil, tout en ajoutant au fait qu’elle soit incroyablement laide,
la manière qu’elle a d’exaspérer quelqu’un en moins de deux, ses crises de
larmes quotidiennes pour des motifs plus stupides les uns que les autres, et la
façon dont elle protège excessivement ses proches.
Une
fois je le lui avait même demandé. Il s’était marré, et m’avait sorti une
phrase idiote du style « l’amour c’est quelque chose de compliqué, qui
surgit là où tu t’y attends le moins, tu verras quand tu seras plus âgé ».
Je
ne suis pas trop d’accord avec lui, à mon avis il avait juste besoin de se
caser, parce que lui non plus n’est pas spécialement quelqu’un de beau. Il est
petit, ressemble à un rat, et asthmatique. Il prend énormément de médicaments,
et a la santé fragile, ce qui amène maman à le couver encore plus que moi ou
Eléonore.
Je
trouve que je ne ressemble pas trop à mes parents, dieu merci. Mis à part
l’asthme de mon père, ou le nez en trompette de ma mère, je n’ai hérité d’aucun
de leurs traits.
-Tu
as l’air énervé mon petit Gilles… Il y a quelque chose qui ne va pas ? Tu
es malade ?
-Non,
lâche-moi maman…
-Tu
es pâle… Tu n’oublieras pas ton inhalateur pour aller au collège.
-Ouais,
ouais, bon tu bouges parce que là j’aimerais bien sortir en fait…
Elle
se décale vers la droite et commence à fouiller dans mon armoire. Je déteste
quand elle fait ça, mais c’est une sorte de rituel depuis que je suis entré en
4ème, pour vérifier que je ne cache pas un paquet de cigarettes au
beau milieu de mes T-shirts, rien ne saurait l’en dissuader, même mes
protestations incessantes.
Je
me dirige lentement vers la cuisine, me laisse tomber lourdement sur ma chaise,
et me saisit du paquet de céréales.
-Maman ?
Je
n’obtiens pas de réponse.
-MAMAAAN ?!
-Quoiiiii
Gilles ?
-Y’a
plus de céréales au chocolat ?!
Mon
monstre de mère débarque dans la cuisine, un sweat à la main.
-J’ai
lu que ça donnait des cancers. Et c’est mauvais pour un petit garçon en
croissance comme toi, cela pourrait te créer des problèmes de surpoids, tu dois
faire attention à ce que tu manges…
-Je
dois… Quoi ?
C’est
plus fort que moi, je me mets à rigoler, ces mots sonnent étrangement ridicules
dans la bouche de ma mère. Mon regard glisse sur l’espèce de montagne de
graisse qui lui fait office de corps.
-Qu’est-ce
qui te fais rire ? Jeune homme, je n’aime pas ton attitude !
-Rien,
rien… Euh, pourquoi t’as mon sweat ?
-Je
ne t’ai jamais acheté ce pull… J’aimerais savoir ce qu’il fait dans ton
armoire.
-Bah
oui j’l’ai acheté avec mon argent de poche…
-Ce pull
est en coton Gilles ! Tu ne dois pas porter de coton, tu es allergique au
coton !
-Quoi ?
N’importe quoi, j’suis pas allergique !
-Ecoute,
tu es mon petit garçon, et crois-moi, je m’y connais mieux que toi… Tu ne
porteras pas ça, ça va finir à l’hôpital ! N’oublie pas que tu as la santé
fragile, Gilles !
Et
voilà. Mon sweat Pepe Jeans à 250 balles va finir à la poubelle, ou tout au
mieux dans les cartons de vêtements destinés au Secours Populaire. Etrangement,
ça ne me surprend que très moyennement…
Voilà
le parfait exemple de ce à quoi ressemble le quotidien lorsqu’on vit sous le
même toit que ma mère. Elle est étouffante.
Eléonore
arrive dans la cuisine, et s’assoit en face de moi. Ma grande sœur, elle est en
1ère. Elle est grosse, mais pas autant que maman, elle n’est
d’ailleurs pas aussi laide que cette dernière, ses rondeurs lui confèrent
d’ailleurs un air enfantin qui ne lui va pas trop mal, mais en total désaccord
avec sa personnalité.
-Salut
le moche ! s’exclame-t-elle joyeusement en s’attablant.
-Salut
la grosse… je marmonne faiblement.
Elle
fixe d’un œil suspicieux le contenu de son bol, dans lequel flotte des corn
flakes ramollis.
-C’est
quoi ça ?
-C’que
tu vas manger tous les matins à partir d’aujourd’hui.
-T’as
cru toi, j’ai une matinée de cours à tenir moi.
-Bah
au moins comme ça on aura pas de cancer, je lance ironiquement.
-Rien
à foutre. Tu me feras penser à mettre les Chocapic sur la liste, j’en prendrai
au Marché Plus ce soir…
« La
liste », c’est la liste de courses que nous tenons en commun, elle
contient à peu près toutes les sucreries prohibées par maman. Bien sûr, c’est à
nos frais, mais c’est ça où manger des légumes verts et des corn flakes jusqu’à
notre majorité.
Les
Chocapic rejoindront donc les « Nutella, Milka au daim, Monster Munch, Red
Bull, tuiles au paprika, Ice Tea, Coca light, cookies, Granola, BN » et
autres.
Eléonore
commence à me parler du mec avec qui elle a couché au dernier rassemblement
étudiant, qui a eu lieu hier soir. J’étais trop crevé pour y aller, mais elle,
semble fraîche comme un gardon.
-Donc
jeudi prochain, tu m’accompagnes ? Parce que tous mes potes veulent rester
chez eux pour réviser le bac de français…
-Tu
révises pas, toi ?
-Nan,
enfin si, mais que pendant la journée, ‘faut bien que je me détende un peu
aussi, si je me fous trop la pression je vais tout rater…
-Il
est bidon ton prétexte, dis-je en rigolant.
-Mais
euh trop pas !
Elle
agite la brique de lait dans ma direction. Un flot de liquide m’atteint au
visage, et dégouline sur mon T-shirt.
-Putain
mais t’es malade !
Je
lui lance une poignée de corn-flakes, qui rebondissent contre ses lunettes
blanches. Elle pousse un petit cri aigu qui m’arrache un rire moqueur.
-Espèce
de connaaard !
-C’toi
qui a commencé !
Avant
qu’elle n’ait pu riposter, je m’enfuis de la pièce, les mains sur la tête.
Quelques céréales ricochent sur mon dos.
Je
mets mon T-shirt dans le panier à linge sale (quand j’ai le malheur de le
laisser traîner, j’ai le droit à un discours interminable sur les champignons
et autres bactéries qui investissent les tissus), et en prends un nouveau dans
l’armoire. J’effectue ensuite une rapide toilette après avoir pris une douche,
et descends les escaliers en courant. Eléonore est déjà prête, elle a mis un
baggy blanc et un sweat noir, et est en train de lire le dernier Closer, affalée
sur le canapé du salon.
-Bon
tu bouges là ? On a cours, j’te signale.
-C’est
toi qu’on attendait… Va mettre tes chaussures au lieu de me faire chier, je
t’attends dehors.
-J’les
ai déjà mes chaussures mongole, on passe chez Camille.
-C’est
quand que tu sors avec elle ?
Un
semi-sourire se dessine sur mon visage pendant que je ferme la porte derrière
moi.