Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Vue-du-ciel
11 avril 2010

3___ Camille.

CAMILLE

 

Je ne suis pas vraiment étonnée par l’aveu d’Erwan, à vrai dire. Lucia et moi nous doutions plus ou moins de quelque chose. C’est un gentil garçon, un peu lourd, à vrai dire je ne peux pas le supporter quand il commence à faire ses blagues à deux balles.

Voilà Johanna qui se tourne vers moi.

-T’as une touche, Cam’, dit-elle en regardant Erwan, assis deux rangs plus loin.

-Arrête, c’est pas du tout ça.

-Ouaiiis, geeenre, qu’est-ce que c’est, alors ?

-J’peux pas te dire, ça te concerne pas Jo.

-J’ai trop envie de savoir, là !

Je ne réponds pas, et me contente de la fixer, froidement.

-Une clope, marchande-t-elle.

Je passe ma langue sur mes lèvres, tentée par l’offre. J’ai commencé à fumer cette année, un peu pour suivre le mouvement, il faut bien l’avouer. Aujourd’hui, je suis à sec, et le goût du tabac me manque un peu, j’ai la gorge sèche.

- Toutes les clopes que tu veux, je ne te dirai rien.

Raconter un secret à Johanna équivaut à se confier au monde entier. Si je lui parle de mon entrevue avec Erwan, je peux être sûre que la totalité des collégiens sera au courant de tout dans deux heures.

-Tu saoules Cam.

Sur ce, elle se retourne.

-Hé, Lucia.

Les prunelles en amande de ma meilleure amie se posent sur moi.

-Oui ?

-J’ai un truc à te dire.

-C’est quoi ?

-Mais pas maintenant, on va au Jack’s, après les cours ?

-J’sais pas. Il faut que je rentre, pour ma mère, tu comprends ?

Tu parles si j’ai compris. Lucia, c’est pas une fille qui nage dans le bonheur, comme la plupart le croient. Elle s’occupe beaucoup de sa mère, qui déprime, depuis la mort de son mari. Toute la journée, la pauvre femme erre dans leur appartement, une bière à la main, la plupart du temps. Lucia doit faire en sorte que les factures soient payées à temps, s’occuper de la cuisine, du ménage. Ca se voit qu’elle l’aime, sa maman, malgré tout ce qu’elle a pu lui faire subir, c’est vraiment une fille admirable.

L’autre jour, une assistante sociale a appelée, alertée par un des voisins. Et Lucia a peur, qu’on l’arrache à sa mère, que ferait-elle, sans son enfant ?

Je m’efforce de la réconforter. Mais certaines choses me dépassent. Je sais que Lucia évolue dans un univers bien différent du mien, qu’elle est infiniment plus mûre que je ne le suis, mais elle reste ce que nous sommes tous : des gamins. Désarçonnés par cette réalité effrayante qu’est la vie, et que devrons affronter tôt ou tard. Je suis assez lucide pour m’en rendre compte, mais certains ont l’air de penser que ce moment n’arrivera jamais. Johanna, par exemple, a un esprit tellement futile...

-Ok. Donc on essayera d’en parler pendant la récré de 4 heures. C’est quoi ce dessin ?

-C’est le prof de maths, ça ressemble non ?

-Oh t’es méchante… Quoique, son nez est encore plus gros, donne ton crayon…

-Et après c’est moi la méchante ? Non mais ho t’as vu, t’es encore pire…

-Alleeez donne-moi ton crayon !

Nous avons passé l’heure à nous chamailler gentiment, à ignorer complètement le professeur, qui, force de nous rappeler à l’ordre, nous prend notre carnet.

Voilà que la sonnerie retentit.

-Camille, Lucia, fait l’enseignant en agitant nos cahiers.

-Vous nous avez mis quoi m’sieur ? dit Lucia, nonchalante.

Après tout ce ne sera pas la première, ni la dernière heure de colle que nous passerons ensemble.

-J’ai été coulant, étant donné que c’est la fin de l’année. Mais la prochaine fois, je serai intransigeant. Maintenant, filez.

Nous ne nous faisons pas prier, et sortons de la classe, le sourire aux lèvres.

-Il est sympa, tout compte fait.

-Ouais, j’crois qu’il a mérité qu’on rétrécisse la taille de son nez sur notre dessin.

Nous rions de bon cœur, jusqu’à ce que Lucia s’interrompe.

-Au fait, qu’est-ce que t’avais à me dire ?

Je m’apprête à lui répondre quand une voix caquetante agresse nos tympans.

-Lulu, Caaam !!

Lucia déteste Johanna, mais encore plus lorsqu’elle se met à l’appeler « Lulu », surnom qu’elle juge ridicule, je l’approuve.

-Vous venez fumer devant le bahut ?

Je sais qu’elle va me bassiner quant à la petite discussion que j’ai eue avec Erwan. Cette fille est abominable, pire qu’une sangsue, à croire que les potins soient l’essence même de sa petite existence. D’un autre côté, si elle m’offre une cigarette, pour tenter de me corrompre, je ne dis pas non.

-Ok, je viens.

-J’vais rester avec Marie, on se revoit en français Cam ? dit Lucia, qui, après m’avoir adressé un sourire fugace, disparaît au détour d’un couloir.

Je suis Johanna jusqu’à l’entrée du collège. Nous posons nos sacs sur une marche et nous nous asseyons sur un muret.

-Tu veux une clope ? fait Johanna, en sortant son briquet violet transparent.

-C’est quoi comme marque ?

-Lucky Strike.

-Bon ok, passe, je soupire.

Je tends la main, mais elle fait tournoyer la cigarette entre ses doigts soigneusement manucurés, avec un air malicieux.

-Quoi ?

Johanna me fixe d’un air insistant, comme pour m’amener à une déduction qui sensément, doit lui paraître évidente. Je mets un peu de temps à comprendre.

-Oh Jo, tu vas pas me faire chier avec ça toute la journée, c’est même pas intéressant en plus !

-J’ai envie de faire ma fouine, répond-elle en allumant son briquet.

-File-moi ma clope et j’te dis ce dont Erwan m’a parlé.

-Ok, attends j’te l’allume.

Elle me donne la cigarette, qui a déjà commencée à se consumer lentement, je la fourre dans ma bouche, et tire une bouffée de tabac.

-Bon alors, il t’a dit quoi exactement Erwan ?

-Tu peux toujours rêver pour que je te le dise, dis-je avec un sourire narquois.

-Hein ?! Camille, ça se fait pas, j’croyais que t’étais une meuf bien, tu me saoules là, merde !

-Non mais ça va hein, c’est pas comme si j’avais ruiné ta vie non plus, dis-je en rigolant. T’as pas l’impression d’en faire un peu trop là ?

-N’empêche, c’est pas sympa, marmonne-t-elle en se renfrognant. J’te filerai plus jamais de clope.

-Merci quand même, hein.

Soudain, le ciel me tombe sur la tête.

-Saluuuuut Cam !!

Je me retourne, effrayée.

-Evan ? Sérieux, fais plus jamais ça, j’ai failli avoir une crise cardiaque !

Il m’adresse un large sourire. Evan est un gars assez mignon, qui est moins âgé qu’il n’en a l’air. Quelques mèches éparses de ses cheveux châtains clairs s’échappent de son chapeau noir, rayé blanc.

-Salut Evan, dit Johanna, un peu mécontente d’avoir été ignorée.

-Oh, Jo ! Ca va ? Excuse-moi j’ai du mal aujourd’hui…

-Oui, très bien, répond-elle froidement.

Je sais que si Johanna se comporte ainsi envers lui, c’est parce qu’elle n’a toujours pas digéré le fait qu’il soit gay, malgré l’amour sans bornes qu’elle a pu lui vouer l’an dernier.

-J’ai reçu un truc bizarre dans mon casier, regardez.

Il me tend une lettre, que je déplie, elle est un peu froissée.

C’est une déclaration, les mots sont constitués d’assemblages de lettres prélevées dans des magazines.

-Ah ok la meuf qui a trop regardé de séries à la télé, je commente.

-Moi j’trouve ça mignon, dit Evan.

-Tu viens de dire que c’était bizarre…

-Ouais, mais quand même, c’est mignon. J’aurais préféré qu’elle m’le dise en face, quoi.

-Tu sais, c’est pas toujours facile, intervient Johanna, avec l’air exaspéré de la fille incroyablement blasée qui en a vu d’autres.

-Au pire, c’est pas si grave si tu ignores qui c’est, ça évitera d’en rendre certains jaloux, dis-je en jetant un regard lourd de sous-entendus à Evan.

Il sort avec un gars du lycée d’en face, depuis 3 mois.

Evan me répond par un gloussement atrocement féminin. Je ne parviendrai jamais à supporter ce son, surtout quand celui-ci provient de la bouche d’un homme. Si même les membres de la gente masculine se mettent désormais à ricaner comme des dindes, je peux sérieusement envisager un déménagement en Sibérie orientale.

Le son lointain de la cloche parvient jusqu’à nos oreilles. J’écrase mon mégot contre le muret, et me redresse.

-Allez Jo, on a encore deux heures de cours là.

-La merde… Moi j’vais pas en français.

-Tes parents vont te tomber dessus, je diagnostique.

-J’en ai rien à faire, allez en cours, dites que j’suis malade… Je serai là en SVT.

-Comme tu veux, dis-je en haussant les épaules.

La suite est prévue pour le 12 avril.

Publicité
Publicité
Commentaires
M
J'aime fort fort
C
Vraiment stylé. J'aime bien comment tu passes d'un personnage à un autre, on voit les différents points de vues; au moins on a pas une seule vision de ce qui se passe. Puis, ce n'est pas une histoire, genre qui part dans le rien à voir, et moi je trouve que tu ne dois pas mettre le style entre guillemets parce que le tien on le voir directement. Et franchement, moi j'aime bien ce style. Enfin, vraiment j'attends la suite avec impatience ;).<br /> Coline-Abercrombie ( lacartoonerie.com)
Vue-du-ciel
  • Quelques écrits, griffonnages, sans prétention aucune, tout simplement pour le plaisir de s'évader, même si ce n'est que le temps d'un chapitre. Writing is my passion. Writing is my best friend. Writing is my drug. Writing is my girlfriend.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Publicité