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Vue-du-ciel

26 avril 2010

14 ____Sylvain.

SYLVAIN

 

Je ne suis vraiment pas du genre à me préoccuper des sentiments des autres. En général, ils m’importent peu. Mais quand les reproches, voire les compliments, viennent de Clara, ça me tourmente pendant des heures. Surtout que j’ai l’impression que cette fille réagit de manière totalement aléatoire. Je viens de la défendre, et pour toute récompense, j’ai le droit à un regard haineux. Je ne sais vraiment pas ce qu’elle pense de moi. Elle peut être aussi adorable que sèche. Clara a un caractère lunatique, je crois, mais ses sautes d’humeurs sont encore plus incontestables en ma présence.

Aaaah cette fille est vraiment trop excentrique, mais… pourquoi ça lui donne autant de charme ?

Je pousse la porte de la salle d’anglais, la prof se sursaute et fait volte-face comme si un psychopathe venait de faire irruption au beau milieu de son cours.

-Sylvain! Where were you? You could hit before entering!

Je n’ai strictement rien compris, et marmonne un simple “yes...” en guise de réponse, avant de prendre place aux côtés de Lucille, qui est en train de dessiner des chapeaux sur sa trousse. Elle se tourne vers moi, et me scrute de ses grands yeux noirs.

-Quoi ? je lui demande.

-Alors, il s’est passé quoi ?

-Bah euh écoute, rien… Je l’ai laissée avec Johanna.

-Quoi ?! Mais t’es vraiment con en fait.

-Ta gueule ?

-‘Fallait rester avec elle pauvre type !

-C’est elle qui m’a dit de remonter !

 

 

-Depuis quand t’écoutes ce qu’on te dit, toi, hein ? Je rêve. Je prétexte avoir de l’allemand à terminer pour vous laisser un peu seuls, c’est tellement rare, et toi tu fous rien.

-Attends attends, depuis quand t’essaies de m’arranger des coups avec Clara ?

-Sylvain tu sers à rien.

-SHUT UP ! s’exclame Mme Goulecq, ruinant mes tympans par la même occasion.

Je n’ai pas spécialement envie de continuer à m’engueler avec Lucille, ni de me prendre un mot, alors je me tais. Le cours est, comme de coutume, d’un ennui mortel. Les minutes s’étirent paresseusement, pendant que la prof nous décrit les habitudes culturelles des Néo-Zélandais. C’est sûr que c’est le genre de trucs qui nous sera vital pour réussir dans sa vie professionnelle, par la suite.

La sonnerie, synonyme de ma délivrance, retentit enfin. Je rassemble mes affaires dans mon vieux Eastpack, et, en compagnie de Johann et Lucille, part à la rencontre de Clara. Son entretien a été plus rapide que prévu, puisqu’elle est assise dans les escaliers. Avec Johanna.

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25 avril 2010

13____ Clara.

CLARA

 

Je viens de me rappeler d’un truc. Le rendez-vous avec la CPE. A dix heures. Ca m’était complètement sorti de la tête, en fait. Non seulement je vais devoir m’expliquer avec Johanna, je vais probablement m’en prendre plein la figure, mais en plus je risque de me faire disputer si je n’arrive pas à l’heure.

-Lucille, tu viens avec moi jusqu’au bureau de la CPE ?

Elle me regarde d’un air désolé.

-J’dois finir mon allemand, sinon la prof va me coller un zéro. Trouve quelqu’un d’autre. Désolée, hein.

Je n’ai pas vraiment besoin d’escorte, mais un la compagnie d’un ami m’aiderait à reprendre un peu confiance en moi. Je me tourne vers Sylvain.

-Euh, Sylvain, tu veux pas y aller, toi ?

-Ok, me répond-il en retirant ses écouteurs.

Je lui adresse un sourire éclatant.

-Merci.

-C’est à cause de Johanna ton rendez-vous, non ?

-Oui. Franchement ça m’énerve, j’aurais limite préféré aller en anglais, tu vois.

-Elle va te dire quoi ?

-Bah je suppose que je vais devoir tout réexpliquer. Au pire, j’y suis pour rien dans cette histoire. C’est elle qui s’est foutue dans la merde toute seule.

-Ouais c’est vraiment une…

Sylvain n’achève pas sa phrase parce qu’il vient de louper une marche. Il se rattrape de justesse à la rambarde dans une position ridicule. Je reste d’abord interloquée puis me mets à rire.

-Arrête c’pas drôle !

-Ah si, non mais c’était pitoyable là, j’articule entre deux éclats.

Il me pousse, pas méchamment, mais je perds quand même l’équilibre. J’ai l’impression que mon corps ne répond plus correctement ces derniers temps. Comme s’il se déconnectait de mon esprit. C’est étrange, et vraiment désagréable. Sylvain agrippe mon poignet de justesse.

-Ben alors ?

-Je devais être tout au bord de la marche, j’ai pas fait exprès, je réponds en souriant.

Il fixe mon poignet. Même si Sylvain n’est pas franchement grand, mon bras paraît minuscule et tout pâle, dans sa main. C’est parce que j’ai beaucoup maigri, ça doit être dû au stress, ou au surmenage, car en fait je ne l’explique pas vraiment.

-T’es maigre, constate Sylvain.

-Je sais.

-J’trouve ça flagrant ces temps-ci.

-Je vais être en retard alors lâche-moi.

-Tu te fais vomir ou quoi ?

-T’arrêtes oui ? On y va, allez.

Je me dégage, finalement, et pars en le laissant derrière. Il me rattrape. Nos pas résonnent dans les couloirs vides. Nous arrivons finalement en face du bureau de la CPE, une petite porte jaune surmontée d’une plaquette en plastique proclamant  « Mme Saurel, conseillère principale d’éducation. Collège. ». Je frappe, anxieuse. Sa voix me parvient depuis l’autre côté du battant.

-Une minute voulez-vous ?

Elle aussi a pris du retard, apparemment. Je m’assois sur un des fauteuils qui borde le couloir, car je commence à être fatiguée. Sylvain me regarde.

 

 

-Tu peux aller en cours, tu sais. J’peux attendre toute seule.

-Bah non, j’vais rester avec toi.

Lui ne semble pas décidé à s’asseoir. Il reste debout face à moi.

Je ne pense pas que Sylvain soit beau, mais je le trouve mignon. Ses cheveux sont bruns et frisent un peu à certains endroits, c’est joli. Il n’a pas le teint clair, pourtant il ne sort pas beaucoup. Il faut presque le traîner dehors, en fait. Il me regarde encore. Je n’aime pas trop. Je baisse les yeux.

-Salut, marmonne soudain une voix au timbre amer.

Je lève les yeux, brusquement. J’ai reconnu la voix de Johanna. Ses yeux vert-marron fardés me contemplent puis remontent vers Sylvain.

-Qu’est-ce que tu fous là ? demande Johanna.

-On t’a demandé la couleur de ton string ? répond-il d’un ton violent.

-Oh, calme. J’t’ai pas agressé, non ?

-Ouais, pas moi.

-T’es obligée de la défendre, elle peut pas le faire toute seule peut-être ?

-J’ai pas envie de discuter avec toi connasse.

-Pauvre type… grince Johanne en se laissant tomber deux sièges plus loin.

J’ai considéré cet échange verbal d’un œil ébahi. J’apprécie qu’on prenne ma défense, mais il est absolument inutile d’en arriver à là. J’adresse un regard noir à Sylvain.

-Ca va aller. Remonte en anglais s’il te plaît.

Il semble surpris, presque déçu, puis s’éloigne d’une démarche traînante. Je me tourne vers Johanna, qui, elle, semble inquiète. Elle triture ses ongles, et lance quelques coups d’œil furtifs à la porte du bureau.

23 avril 2010

12 _____ Lucille.

. Je la regarde tousser comme une dératée, puis elle se reprend.

-Clara, c’est quand que tu vas voir le médecin ?

-Quand ma mère aura le temps. J’ai pas trop eu le temps de lui en parler. Enfin, elle a surtout pas eu le temps de m’écouter.

-Oui bah… Fais gaffe quand même.

-Oh c’est qu’un rhume. Je fais rien que de tousser, c’est pas comme si j’étais à l’agonie.

-Tu fais pas que tousser. Tu…

J’observe sa silhouette filiforme et laisse ma phrase en suspension. Je me tais.

Nous marchons en silence jusqu’à la salle d’anglais. Je n’aime pas trop notre groupe. Pour les cours de langue, notre classe est dispersée en deux groupements, ceux qui suivent les cours d’anglais section européenne, et ceux qui ont conservé un cursus classique. Clara et moi ne faisons pas anglais section européenne. Avec nous il y a Sylvain et Johan. Et d’autres, bien sûr, mais disons que j’en ai rien à faire, des autres.

Sylvain est contre le mur avec un casque à musique sur les oreilles. Dans le genre "j’aime personne", lui aussi se pose là. Je crois qu’il a un faible pour Clara, comme moi, il faut dire que nos caractères ne diffèrent pas de beaucoup.

Je discute encore un moment avec Clara, puisque l’autre ne semble pas décidé à se joindre à la conversation. Johan arrive, tout sourire.

 C’est un garçon assez grand, un redoublant en fait, il a des cheveux bruns coupés courts, un nez plutôt proéminent, bref il n’est pas suprêmement beau, ni intelligent, mais je pense qu’on ne peut que l’adorer. Il fait partie de cette catégorie de personnes, qui, sans effort aucun, parviennent à capter l’attention des autres et à s’en attirer les faveurs.

Aujourd’hui, il est vêtu d’une manière assez excentrique, il porte un sweat beige à motif étranges, un baggy orangé, ainsi qu’un étui à guitare dans le dos.

Il se penche vers moi pour me faire la bise.

-Salut toi !

-Johaan !! s’exclame Clara.

-Claraaa !! lui répond Johan sur le même ton.

-T’as fini ma chanson ?

-Bah non pas encore, mais presque. Enfin j’en ai écrit une autre, aussi, tu voudras l’écouter ?

-C’est quoi cette histoire de chanson ? j’interviens.

- Johan écrit des chansons, tu ne le savais pas ? Il a dit qu’il m’en écrirait une, d’ailleurs.

-Ah, d’accord.

-T’es jalouse Lulu ? dit Johan.

-Non !

-Oh si tu veux j’t’en écrirais une à toi aussi…

-Mais je veux pas de chanson, moi !

-Genre ! Je vais te faire ça, allez.

Sur ce, il s’assoit sur le sol et ouvre son étui, dans lequel se trouve une jolie guitare acoustique beige. Il en tire deux-trois notes, puis entame une sorte de balade.

-Si j’osais, si j’osais te demander Lucille,

 Voudrais-tu, bien me faire

 La flûte en bois du Lamentin

 Pour baiser Lucille, c’est un jeu enfantin…

A moitié morte de rire, je lui demande d’arrêter.

-Alors, elle te plaît pas ?

C’est à ce moment que Mme Goulecq, professeur d’anglais, débarque, en se tenant les côtes.

-Désolée… Embouteillages…

Elle tourne la tête vers Johan qui est reparti sur une chanson du même style.

-M. QUEFLEUR !

Il ne trouve rien de mieux à répondre, tout en se débattant avec la fermeture éclair de son étui, qu’un pitoyable :

-Bonjour madame…

-Si je vous reprends, une seule fois, en train de pousser la chansonnette, dans les couloirs, ça ira très mal pour vous, je vous le garantis ? Do you understand ?

Je déteste cette manie qu’on les professeurs d’anglais, qui consiste à s’exprimer constamment en une sorte de franglais ridicule.

Il acquiesce, la mine basse. Il en est pas à sa première connerie, alors il vaut mieux pour lui qu’il se tienne à carreaux, même si l’année est presque finie. Étant donné ses notes désastreuses, il n’a pas été autorisé à poursuivre un cursus général, et a été réorienté en lycée hôtelier.

-Good, go, the course will begin... Hurry up !

Je lance un regard à Clara.

20 avril 2010

11_____ Lucille.

LUCILLE

 

Je le regarde passer, ce mec est juste trop canon. Le fait qu’il soit aussi froid en permanence, lui rajoute un côté mystérieux, que j’adore littéralement. En fait, il ne m’a jamais adressé la parole.

Je l’aime que pour son physique, mais au moins j’ai le courage de me l’avouer. Sébastien, il est grand, il a les cheveux un peu longs, mais pas trop, frisés, il a en permanence un casque audio vissé sur les oreilles et il fait de la basse. J’ai une cinquantaine de photos de lui sur mon portable, s’il l’apprenait, je ne sais pas comment je réagirais. Je mourrais de honte, sans doute.

-Tu regardes toujours Sébastien ? s’étonne Marie, me tirant de ma contemplation béate.

-Ahh oui, il est trop beau…

-Je trouve pas, lâche Camille, de sa voix toute douce. C’est surtout qu’il ne parle jamais, en fait.

-Oui, je suis pas sûre de l’avoir déjà entendu, depuis le début de l’année, renchérit Marie.

-Ah vos gueules. Je m’en fous, il est beau, moi ça me suffit.

-Il a pas de copine au moins ?

-Non, c’est pas possible qu’il en ait une ! Je sais qu’il en a pas.

-Vu comment tu l’espionnes aussi…

-Si ça se trouve il est gay, intervient Yohann, un fort accent russe perçant dans ses intonations.

-Il est pas gay ! je m’offense.

-Pagaie, pagaie… marmonne Gilles en mimant le geste.

La blague est vraiment pourrie, mais tout le monde rigole, bien entendu.

Yohann et Marie partent. Peut-être ont-ils à faire. Je m’en fiche. Ce que font les autres ne m’intéresse pas en général. C’est sans doute une preuve d’égocentrisme, ou tout simplement et plus malheureusement d’apathie. Je n’aime pas Marie, de toute façons, elle est tellement vantarde, c’en est désespérant. Quant à Yohann, il peine à aligner trois mots en français, ce qui n’aboutit pas à des conversations incroyablement profondes et enrichissantes. Je m’ennuie.

Je tire sur mes bracelets constitués de perles de bois colorées, ou plastifiées, quand ce ne sont pas des ficelles tressées ou des anneaux d’argent. Je m’ennuie.

Gilles essaye d’intéresser Camille en balançant quelques vannes qui me font sourire, bien malgré moi. Si la nature ne l’a pas doté d’un physique hors du commun, elle lui aura au moins attribué une nature gaie et sociable, qui attire la sympathie des autres.

Camille, elle, est belle. Moins que Lucia, mais elle est belle. Grande, bien formée, elle a un visage doux qui se marie parfaitement avec sa personnalité posée et agréable.

Clara arrive. Elle aussi est jolie. Enfin, je la connais trop bien pour pouvoir réellement la juger sur ce plan. Je sais qu’elle l’est encore moins que ce que Camille est à Lucia, mais je pense réellement que ses traits sont sans doute un peu trop fins, mais harmonieux. Peut-être moins ces temps-ci.

Parce qu’elle a effroyablement maigri. En l’espace d’à peine deux semaines, elle a dû perdre cinq kilos. C’est trop en peu de temps pour une fille à peine sortie de l’enfance. Pour n’importe qui, en fait. Et cela se voit. Son visage est émacié, laisse transparaître une grande fatigue, son expression est presque constamment lasse, sa peau est presque translucide. Elle tousse, tout le temps.

-Luciiille ! s’exclame-t-elle, presque dynamique.

-Claraaaaa, je marmonne.

-Oh Lucille, j’ai complètement oublié de t’en parler hier, mais tu sais, la soirée de Annie ?

-Quoi ?

-Ca à complètement raté ce qu’il paraît…

-Ouais j’suis au courant ! Non, mais tu sais, Julie devait y aller…

-Geeenre ? Oh mais c’est pas vraiment son monde ce genre d’évènements…

-Pire. Tu sais quoi sur cette fête ?

Je pense que je peux dire que Clara est ma meilleure amie. Les gens s’étonnent de nous voir rester ensemble. Nos personnalités diffèrent complètement, c’est vrai. Je suis calme, limite flegmatique, tandis qu’elle est une véritable boule d’énergie, toujours heureuse. Mais sa seule présence suffit à me dérider, une certaine alchimie règne entre nos deux personnes. Nous nous attirons comme les deux pôles d’un aimant.

Je m’éloigne alors de Gilles et Camille, pour parler plus tranquillement avec Clara. On rit, on se confie, avec elle le véritable sens du mot amitié prend tout son sens. Mais si les poignets rachitiques qui illustrent ses propos me glacent le sang.

-Il faut que je m’achète un nouveau parfum, le mien est presque vide, dit-elle.

-Oh, l’autre jour je suis allée à Séphora, j’ai trouvé un échantillon du parfum de Pete Doherty, attends il est dans mon sac…

Je commence à farfouiller dans le fond de mon cabas.

-Mais tu sais je m’en fous du parfum de Pete Doherty…

-Clara tais-toi ! Ah ça m’énerve, je ne le retrouve plus, je vais être obligée d’y retourner…

La sonnerie retentit, au loin.

-Bon, ‘faut qu’on monte.

-Attends j’finis ma clope…

-Ok, dépêche-toi !

-T’es marrante toi… Bon, c’est bon, on bouge.

Nous gravissons les marches qui mènent à l’établissement, quand Clara est prise d’une violente quinte de toux.

19 avril 2010

10____ Gilles.

-… Mais j’veux pas sortir avec elle.

-Ouais, genre. Elle est trop mignonne cette fille, enfin moins que sa copine là, Lucia, mais bon, avoue, elle est pas mal !

-J’avoue… J’la préfère à Lucia en fait.

-Arrête, elle est trop belle cette meuf, elle me fait penser à la fille de la pub pour Stéfane devant le Super U.

-J’aime trop tes références...

-Mais j’ai raison. Mais bon… Camille ? T’en penses quoi ?

-Bah elle est sympa… Et puis arrête tu me gonfles. T’as un mec en vue toi ?

-Ouais ! Tu sais pas, l’allemand qui est arrivé y’a à peine une semaine, Hans, il est bien non ?

Je tente de mettre un visage sur ce prénom, ce qui nécessite un temps de réflexion.

-Le gars brun qui jongle souvent avec Evan devant le bahut ?

-Oui oui, celui-là.

-Ah je vois, celui qui a une espèce de chaussette sur la tête.

-T’es con, c’est pas une chaussette ! s’exclame Océane. Il a du style.

Nous arrivons devant la maison de Camille. Cette dernière nous attend, assise sur un muret qui borde le trottoir. Elle est jolie, certes, mais je lui trouve un quelque chose de spécial qui fait toute la différence.

-Salut !

La voix d’Eléonore la tire de ses pensées, elle sursaute et se tourne vers nous.

-Ca va ?

Je me penche pour lui faire la bise. Je ne surpasse que de très peu son mètre 72. Sa joue vient caresser la mienne, elle est douce de fond de teint, mais légèrement granuleuse.

-Ouais, la forme, et toi ? m’enquis-je.

-Oui, oh tu sais pas, Anaëlle m’a appelé hier soir. Elle est partie de chez elle.

-Anaëlle ? La pute qui a redoublé sa 5ème, avec des lunettes à la Camélia Jordana ? intervient ma sœur, toujours très classe.

-Non mais elle est vachement sympa, objecte Camille.

-Pff, bah voyons…

-Bon ta gueule Eléonore, je lui souffle discrètement, par peur que Camille ne se vexe. Pourquoi elle est partie de chez elle ?

-Elle avait des problèmes avec sa mère… Enfin, tu vois de quoi je parle. Bref, elle n’en pouvait plus, elle a lui piqué de l'argent ou des bijoux, je crois, et elle s’est barrée chez son père. C’est fou, quand même…

-Ah ouais… Mais elle s’est disputée avec sa mère ? J’sais pas, partir comme ça, c’est pas rien quand même…

-Je crois qu’elle était à bout, surtout ces temps-ci, tu sais, elle a rompu avec Simon samedi dernier…

La conversation alla bon train, entrecoupée de temps à autre par les réflexions perfides d’Eléonore, qui se tint néanmoins relativement silencieuse.

L’air sentait bon l’été. Les chemisiers, robes et autres tissus légers étaient de mise. Camille arborait un haut rouge à manches courtes en soie, et un pantalon en toile blanc. Eléonore avait un débardeur noir un peu trop moulant, qui ne valorisait pas franchement ses formes, et un sarouel blanc. Moi, je portais un vieux T-shirt vert délavé, et un jean simple.

Comme tous les matins, nous avons coupé par le grand parc, la chaleur du soleil commençait juste à éclipser la fraîcheur matinale, et des gosses étaient déjà en train de s’amuser aux fontaines, tandis des vamps avaient d’ores et déjà pris possession des bancs qui entouraient l’aire de jeux.

Notre trajet débouchait ensuite dans une des rues principales de la vieille ville bordée de magasins de fringues, de marchands de glace, de librairies, ou encore de restaurants.

Nous arrivons finalement au collège. C’est un lieu composé de deux grands bâtiments rectangulaires, et d’un gymnase situé plus en hauteur. Un grand escalier en colimaçon à la paroi vitrée rattache les deux édifices, qui sont faits de pierre grise, sale et terne, et tapissés de carreaux bleus en dessous des fenêtres. La cour est dépourvue de toute végétation, totalement goudronnée, quelques bancs sont disséminés ça et là. On accède à la construction par un escalier, qui donne sur la rue. La plupart des élèves vont là pour s’en griller une, où tout simplement pour se détendre avant de reprendre les cours.

Eléonore va rejoindre ses amis de première, alors que nous nous dirigeons vers Marie, Yohann et Lucille. Cette dernière est en train de fumer, alors que les deux autres sont à moitié avachis l’un sur l’autre.

-Salut…

-Coucou ! s’exclame Marie, au taquet.

-Vous étiez pas en cours hier ?...

Marie se met à glousser, et coule un regard attendri en direction de Yohann. Je rigole aussi.

-Ah ok. Lulu, tu me files une taffe ?

Lucille me fixe froidement, puis un mince sourire étire ses lèvres.

-T’arrêtes de m’appeler Lulu, et peut-être, ouais.

-Ok Lulu !

-T’es chiant ! Tiens, prends !

Je tire une bouffée de fumée, c’est agréable. Je la laisse descendre le long de ma gorge, avant de l’expulser par le nez. Marie, Camille et Lucille entament une grande discussion sur Sébastien, qui vient de passer devant nous.

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18 avril 2010

9____ Gilles.

GILLES

 

-Gilles, dépêche-toi ! Debout !

J’ouvre les yeux en grommelant, la tête enfouie dans mon oreiller.

-Giiilles, tu m’écouuutes ?

Maman entre dans ma chambre, non sans discrétion, et ouvre les fenêtres. Le bois de l’encadrement de mon carreau heurte le mur, une brise s’engouffre dans la pièce, et le soleil m’éblouit, ce qui a pour don de m’éveiller définitivement.

-Allons debout !

-Rah maman c’est bon là, j’suis réveillé là !

Je la fixe. Ma mère est une bonne femme énorme, elle porte une robe de chambre rose, qui laisse à découvert ses poignets, ses chevilles et son cou blanc et gras. Je ne sais pas vraiment ce qui a pu motiver Papa de partager sa vie avec un monstre pareil, tout en ajoutant au fait qu’elle soit incroyablement laide, la manière qu’elle a d’exaspérer quelqu’un en moins de deux, ses crises de larmes quotidiennes pour des motifs plus stupides les uns que les autres, et la façon dont elle protège excessivement ses proches.

Une fois je le lui avait même demandé. Il s’était marré, et m’avait sorti une phrase idiote du style « l’amour c’est quelque chose de compliqué, qui surgit là où tu t’y attends le moins, tu verras quand tu seras plus âgé ».

 

Je ne suis pas trop d’accord avec lui, à mon avis il avait juste besoin de se caser, parce que lui non plus n’est pas spécialement quelqu’un de beau. Il est petit, ressemble à un rat, et asthmatique. Il prend énormément de médicaments, et a la santé fragile, ce qui amène maman à le couver encore plus que moi ou Eléonore.

Je trouve que je ne ressemble pas trop à mes parents, dieu merci. Mis à part l’asthme de mon père, ou le nez en trompette de ma mère, je n’ai hérité d’aucun de leurs traits.

-Tu as l’air énervé mon petit Gilles… Il y a quelque chose qui ne va pas ? Tu es malade ?

-Non, lâche-moi maman…

-Tu es pâle… Tu n’oublieras pas ton inhalateur pour aller au collège.

-Ouais, ouais, bon tu bouges parce que là j’aimerais bien sortir en fait…

Elle se décale vers la droite et commence à fouiller dans mon armoire. Je déteste quand elle fait ça, mais c’est une sorte de rituel depuis que je suis entré en 4ème, pour vérifier que je ne cache pas un paquet de cigarettes au beau milieu de mes T-shirts, rien ne saurait l’en dissuader, même mes protestations incessantes.

Je me dirige lentement vers la cuisine, me laisse tomber lourdement sur ma chaise, et me saisit du paquet de céréales.

-Maman ?

Je n’obtiens pas de réponse.

-MAMAAAN ?!

-Quoiiiii Gilles ?

-Y’a plus de céréales au chocolat ?!

Mon monstre de mère débarque dans la cuisine, un sweat à la main.

-J’ai lu que ça donnait des cancers. Et c’est mauvais pour un petit garçon en croissance comme toi, cela pourrait te créer des problèmes de surpoids, tu dois faire attention à ce que tu manges…

-Je dois… Quoi ?

C’est plus fort que moi, je me mets à rigoler, ces mots sonnent étrangement ridicules dans la bouche de ma mère. Mon regard glisse sur l’espèce de montagne de graisse qui lui fait office de corps.

-Qu’est-ce qui te fais rire ? Jeune homme, je n’aime pas ton attitude !

-Rien, rien… Euh, pourquoi t’as mon sweat ?

-Je ne t’ai jamais acheté ce pull… J’aimerais savoir ce qu’il fait dans ton armoire.

-Bah oui j’l’ai acheté avec mon argent de poche…

-Ce pull est en coton Gilles ! Tu ne dois pas porter de coton, tu es allergique au coton !

-Quoi ? N’importe quoi, j’suis pas allergique !

-Ecoute, tu es mon petit garçon, et crois-moi, je m’y connais mieux que toi… Tu ne porteras pas ça, ça va finir à l’hôpital ! N’oublie pas que tu as la santé fragile, Gilles !

Et voilà. Mon sweat Pepe Jeans à 250 balles va finir à la poubelle, ou tout au mieux dans les cartons de vêtements destinés au Secours Populaire. Etrangement, ça ne me surprend que très moyennement…

Voilà le parfait exemple de ce à quoi ressemble le quotidien lorsqu’on vit sous le même toit que ma mère. Elle est étouffante.

Eléonore arrive dans la cuisine, et s’assoit en face de moi. Ma grande sœur, elle est en 1ère. Elle est grosse, mais pas autant que maman, elle n’est d’ailleurs pas aussi laide que cette dernière, ses rondeurs lui confèrent d’ailleurs un air enfantin qui ne lui va pas trop mal, mais en total désaccord avec sa personnalité.

 

-Salut le moche ! s’exclame-t-elle joyeusement en s’attablant.

-Salut la grosse… je marmonne faiblement.

Elle fixe d’un œil suspicieux le contenu de son bol, dans lequel flotte des corn flakes ramollis.

-C’est quoi ça ?

-C’que tu vas manger tous les matins à partir d’aujourd’hui.

-T’as cru toi, j’ai une matinée de cours à tenir moi.

-Bah au moins comme ça on aura pas de cancer, je lance ironiquement.

-Rien à foutre. Tu me feras penser à mettre les Chocapic sur la liste, j’en prendrai au Marché Plus ce soir…

« La liste », c’est la liste de courses que nous tenons en commun, elle contient à peu près toutes les sucreries prohibées par maman. Bien sûr, c’est à nos frais, mais c’est ça où manger des légumes verts et des corn flakes jusqu’à notre majorité.

Les Chocapic rejoindront donc les « Nutella, Milka au daim, Monster Munch, Red Bull, tuiles au paprika, Ice Tea, Coca light, cookies, Granola, BN » et autres.

Eléonore commence à me parler du mec avec qui elle a couché au dernier rassemblement étudiant, qui a eu lieu hier soir. J’étais trop crevé pour y aller, mais elle, semble fraîche comme un gardon.

-Donc jeudi prochain, tu m’accompagnes ? Parce que tous mes potes veulent rester chez eux pour réviser le bac de français…

-Tu révises pas, toi ?

-Nan, enfin si, mais que pendant la journée, ‘faut bien que je me détende un peu aussi, si je me fous trop la pression je vais tout rater…

-Il est bidon ton prétexte, dis-je en rigolant.

-Mais euh trop pas !

Elle agite la brique de lait dans ma direction. Un flot de liquide m’atteint au visage, et dégouline sur mon T-shirt.

-Putain mais t’es malade !

Je lui lance une poignée de corn-flakes, qui rebondissent contre ses lunettes blanches. Elle pousse un petit cri aigu qui m’arrache un rire moqueur.

-Espèce de connaaard !

-C’toi qui a commencé !

Avant qu’elle n’ait pu riposter, je m’enfuis de la pièce, les mains sur la tête. Quelques céréales ricochent sur mon dos.

Je mets mon T-shirt dans le panier à linge sale (quand j’ai le malheur de le laisser traîner, j’ai le droit à un discours interminable sur les champignons et autres bactéries qui investissent les tissus), et en prends un nouveau dans l’armoire. J’effectue ensuite une rapide toilette après avoir pris une douche, et descends les escaliers en courant. Eléonore est déjà prête, elle a mis un baggy blanc et un sweat noir, et est en train de lire le dernier Closer, affalée sur le canapé du salon.

-Bon tu bouges là ? On a cours, j’te signale.

-C’est toi qu’on attendait… Va mettre tes chaussures au lieu de me faire chier, je t’attends dehors.

-J’les ai déjà mes chaussures mongole, on passe chez Camille.

-C’est quand que tu sors avec elle ?

Un semi-sourire se dessine sur mon visage pendant que je ferme la porte derrière moi.

16 avril 2010

8____ Lucia.

-Tiens, dis-je en balançant le sachet sur la table basse du salon.

-Merci, faut que je la mange ?

-Non non, c’est pour jouer à la corde à sauter… Bien sûr qu’il faut que tu la manges, dis-je en rédigeant un mot à l’attention de Lorenzo, que je colle sur la porte du frigo.

Elle obéit.

-Bon j’vais me coucher, j’ai mal à la tête… J’mangerai pas ce soir.

Ah ok l’ambiance chaleureuse. Je vais encore me retrouver seule à dîner. Je pourrais faire des lasagnes, ou commander des pizzas. J’ai la flemme de cuisiner.

Au moment où je m’apprête à poser la main sur le combiné, celui-ci se met à sonner.

-Allo ? je fais en décrochant.

Une voix toute douce retentit dans le haut-parleur.

-Bonjour Lucia, je suis Mme Mazenet, tu te souviens de moi ?

Pitié. Pitié. Pas elle. Pas encore cette connasse d’assistante sociale.

-Oui.

Je tente d’adopter le ton le plus froid possible.

-C’est encore au sujet de ta maman. Un des voisins s’est plaint de tapage, et m’a parlé de sa consommation d’alcool récurrente.

-Je… Je ne vois pas de quoi vous parlez. Ma mère ne boit pas, en plus je vous l’ai déjà dit.

-Oh, je ne doute pas de ta franchise, seulement, je compte vous rendre une petite visite, d’ici peu. Bon je dois raccrocher, j’ai énormément de travail.

C’est moi qui coupe la communication en premier.

Les assistantes sociales sont des personnes gentilles, humaines. Mais je veux pas de leur aide. J’ai pas besoin d’elles pour me débrouiller.

Ca m’a coupé l’appétit.

Je me dirige vers la chambre de maman, et m’assoit sur le rebord de son matelas, lui caresse les cheveux.

-Maman … ?

-Mmmmh… Quoooi… ?

-Est-ce que tu m’aimes Maman ?

-Mouiii ma chérie, laisse-moi dormir, j’ai mal à la tête…

-Merci maman.

Je regagne le salon à pas de souris, et m’affale contre le mur. Voilà pourquoi je ne laisserai jamais, jamais, les assistantes sociales me retirer à ma mère. Elle a besoin de moi, je suis son seul point d’ancrage à son ancienne vie, et dans un sens, moi aussi, j’ai besoin d’elle.

On toque à la porte. Je me relève péniblement, et, ravalant mes larmes, ouvre.

-Salut !

C’est Pablos, notre voisin de palier. Il a presque 20 ans, un sourire éclatant, et sent la peinture fraîche. Il travaille sur un chantier.

Pablos est libanais. Tous les mois, sa famille lui envoie des cadeaux, des habits de luxe, des montres ou du matériel hi-fi, car là-bas, tout est moins cher. Il partage ses colis avec nous, la plupart du temps. Il en a justement un entre les mains.

-Salut. Entre.

Il ne se fait pas prier, et s’attable au comptoir.

-On mange quoi ce soir ?

-Bonjour l’incruste, hein !

-Eh, regarde c’que je vous ai emmenés, tu vas être contente.

Il me tend le paquet, que je déballe. C’est un chemisier Burberry.

-Tes parents t’envoient des habits pour femme, maintenant ? dis-je en considérant le vêtement d’un œil étonné.

-Ah non, c’était pour Arielle, mais ils oublient tout le temps qu’on est plus ensemble.

-Ah ok. Merci, ça me fait très plaisir, en tout cas. On a de la chance que tu sois notre voisin.

-Oh tu parles, c’est normal. Tu me fais un truc en échange ?

-Euh, ouais, mais j’suis pas sûre qu’il y ait grand-chose dans le frigo.

J’ouvre la porte du réfrigérateur, et, comme pour confirmer mes dires, tombe sur des étagères remplies d’un sachet de tomates farcies et d’un malheureux pot de crème fraîche.

-C’est la dèche ici dis donc…

-Hum. Faudra que j’aille faire des courses ce week-end.

-Bon bah… J’vais chercher un truc chez moi, bouge pas, je reviens.

Je m’affale sur le canapé, et contemple patiemment mes ongles, en attendant son retour.

Pablos refait soudain irruption dans la pièce, un sac en plastique entre les mains.

-J’ai emmené de quoi faire des fajitas, et des glaces, aussi, dit-il en déversant le contenu du sachet sur le comptoir.

-Tu savais que t’étais un ange ?

-Eh, c’est normal, j’te dis ! Et puis moi aussi j’ai faim. On a eu une sale journée, sur le chantier.

-Ah ? fais-je, curieuse de connaître la cause de ses malheurs.

-Ouais. Tu sais, notre nouveau chef, Serge.

-Ah oui tu m’en avais parlé.

-Il est pas croyable ce type. Donc, il arrive, comme une fleur, et ça y est, c’est la fête.

-C’est le chef, d’un autre côté.

-Non mais j’t’explique. Il a passé la journée à se tourner les pouces. C’était limite s’il ne nous confiait pas la direction du chantier, ce connard.

-Oh, je vois. Et y’a pas moyen d’en parler à quelqu’un de plus haut placé ?

-Je vais essayer mais bon… S’il est parvenu à ce poste, c’est parce qu’il avait des relations dans le milieu, alors ça va être dur de le faire dégager. Et il me traite comme une sous-merde.

-Toi en particulier ?

-Tous les immigrés, en fait.

-J’espère que tu n’auras pas à le supporter trop longtemps…

-Ouais, moi aussi… Mais bon, et toi, le collège, tranquille ?

-Ah oui, moi ça va. Ah si, aujourd’hui y’a une fille, tu sais Johanna, qui a mis une claque à quelqu’un. Elle était complètement bourrée. J’sais pas où elle avait été traîné, parce qu’avant elle avait séché.

-C’est une amie à toi, Johanna ?

-Vite fait… Elle a rien dans la tête, mais bon il m’arrive de traîner avec elle.

-Je te conseille de pas rester avec ce genre de filles. Les gens qui négligent leurs études comme ça… c’est des bons à rien. Dans dix ans je serai pas étonné de la croiser en train de faire les trottoirs…

-Oh c’est bon, t’as pas besoin de réguler mes fréquentations comme ça, je suis assez grande pour me débrouiller.

-Non, t’as que 15 ans, alors fais gaffe.

Je lève les yeux au ciel. Il s’inquiète trop pour moi. Je déteste quand Pablos se met à se comporter comme mon grand-frère, ou pire, comme le remplaçant de mon père. Comme si j’avais besoin de ça. Je pense que la manière dont je m’occupe de Maman est déjà une belle preuve de maturité, et non, mes chevilles n’enflent pas. Je suis lucide, voilà tout.

-Ca t’énerve que je me fasse du souci pour toi, c’est ça ?

-Eh bien si tu veux vraiment le savoir, oui, ça m’énerve.

-Bon bon, j’le referai plus.

Je lui lance un regard appuyé.

-Promis ! s’exclame Pablos en levant les mains, comme pour prouver sa bonne foi.

-Tiens. Bon appétit.

Un court silence s’installe, presque immédiatement brisé par Pablos. Si moi je ne suis pas très bavarde, lui, on peut dire que c’est mon exact opposé. Il me conte ses déboires, toutes plus ou moins directement liées aux actions de son nouveau patron, qui m’a tout à fait l’air d’être un parfait connard.

La soirée se déroule donc paisiblement, dans la joie et la bonne humeur. Pablos illumine l’appartement, de par sa présence. J’ai de la chance de l’avoir pour voisin. Vraiment.

-Ah merde, il est déjà 1 heure ? J’te laisse, demain je commence à 6 heures.

-Dur le réveil !

-Parle pour toi, t’as bien cours demain ?

-Ben… Oui. Sauf que moi je commence à 10 heures.

-Profite ! Bon allez, salut !

Il me dépose une bise sur la joue, puis regagne son appartement, laissant un grand vide derrière lui. J’ai l’impression qu’il fait froid, tout à coup. Même la lumière qu’émet la lampe semble plus faiblarde.

Je débarrasse la table, la vaisselle, ce sera pour demain, lance une machine, et me met en pyjama.

 

Tandis que je me déshabille, je lance un furtif coup d’œil au miroir. On me dit souvent que je suis jolie. C’est vrai. Je suis plus que correctement formée, et les traits de mon visage sont réguliers. Enfin, je n’ai vraiment que ça pour moi.

Je me glisse sous mes couvertures, et ouvre « Le silence des Agneaux », mon livre de chevet du moment. Je trouve l’intrigue de ce roman passionnante, et dévore littéralement les moments relatant les contacts entre l’héroïne et le docteur Hannibal Lecter.

Je vois les mots, je lis les mots, mais ne les retient pas. Rongée par la fatigue, je ferme le livre, et sombre.

 

-Excusez-moi, mesdames, a dit l’infirmière, mais peut-être devriez-vous penser à vous reposer, à rentrer chez vous. Monsieur est sous bonne garde.

Maman a fait volte-face. Ses yeux étaient bouffis, rougis par la tristesse et la fatigue.

-Non, a-t-elle tout simplement répondu.

Puis elle s’est retournée vers Papa, qui, lui était étendu sur son lit d’hôpital. Son rythme cardiaque était irrégulier, comme pouvait en témoigner le moniteur posé sur une étagère, dans un coin de la pièce. Mais il avait l’air relativement paisible. Comme j’étais encore une petite fille, cela suffisait à me rassurer.

J’en avais assez de veiller sur Papa, parce que cela ne servait à rien. Les docteurs le surveillaient, aussi, notre présence n’était pas indispensable. Je voulais rentrer, et dormir, j’étais épuisée de ces dix heures d’attente, que j’avais passée assise sur une simple chaise.

-Maman, moi j’aimerais bien rentrer.

-… Quoi ?

Elle a dit ça d’un ton incroyablement posé à travers lequel on ressentait une immense fatigue. C’était une très belle femme, vive d’esprit, sa déchéance avait débutée en même temps que la maladie de Papa.

-J’suis crevée… En plus j’ai envie de manger des gâteaux parce que ici ils sont pas bons.

-Tu… Tu as envie de manger des gâteaux ? Tu as faim, c’est ça ?...

-Ben, oui.

-Bon… On va rentrer se reposer un peu. Je voudrais pas que toi non plus tu chopes quelque chose. Aurélien… a-t-elle poursuivi en caressant les cheveux de Papa, qui dormait. On revient dans pas longtemps.

-Je vous assure que vous n’avez aucun souci à vous faire pour votre mari, madame, a dit l’infirmière.

Maman n’a rien répondu. Elle a pris son sac, et son manteau et, moi pendue à ses basques, nous avions quitté ce grand bâtiment gris, abandonnant ce que nous avions de plus cher aux bons soins des docteurs.

Je me suis glissée avec délices entre mes draps, et me suis presque aussitôt endormie, assommée par la fatigue. Huit heures plus tard, je me suis réveillée. Mon ventre criait famine, aussi, je suis allée à la rencontre de maman, qui préparait des œufs sur le plat, dans la cuisine. L’odeur m’a mis l’eau à la bouche.

Puis, le téléphone a sonné.

J’ai vu la main de maman se crisper autour du manche de la poêle, puis elle s’est dirigée vers le combiné.

-Allo ?

On lui a dit quelques phrases, que je n’ai pas pu discerner, auxquelles elle a vaguement répondu par des « Oui… Oui. », « Hmm. » affables. Puis elle a raccroché, tremblante.

Lentement, elle s’est tournée vers moi. Je l’ai regardée, il y avait quelque chose de bizarre dans son regard. Sa pupille était comme embrumée. Elle me fixait sans me regarder

-Papa est mort.

Elle a lancé ça, comme ça, d’un ton badin, en essayant de se donner un genre de contenance. J’ai eu l’impression qu’on me jetait un sac de pierre sur l’estomac. J’ai ouvert la bouche, puis je l’ai refermée. Les larmes me montaient aux yeux, mais refusaient de couler.

-Papa, est, mort, a-t-elle répété comme un automate. Aurélien. Aurélien. Il est mort.

Elle a rouvert les yeux, le regard affolé et affolant.

Puis elle a quitté la pièce, et s’est dirigé vers sa chambre sombre, me laissant seule au milieu de ce petit salon, blanc et froid, vidé d’une présence.

J’étais triste. Je ne comprenais pas. J’avais peur. Je ne comprenais pas. J’étais terrifiée. Je ne comprenais pas.

 Puis maman a crié. Un cri glaçant, long, strident, entrecoupé de sanglots déchirants. On ressentait toute la souffrance qu’elle avait endiguée, pendant ces longs mois de combat vain contre cette maladie qui avait dévoré mon père.

J’ai couru jusqu’à la chambre, et j’ai voulu prendre maman dans mes bras. Pas pour la consoler. J’avais juste besoin de chaleur humaine, d’une preuve de compassion, de m’assurer que l’on ne m’avait pas totalement abandonnée, de quelqu’un avec qui partager mon chagrin… Mais elle m’a donnée une gifle, puis a enfoui la tête dans son matelas.

Et moi j’ai pleuré. Toute seule sur mon lit. Avec mon doudou pour seule compagnie. Maman était très bruyante. Toute la nuit, j’ai enduré ses plaintes déchirantes. Ses cris démentiels. Ses hurlements m’ont toujours accompagnés, il m’est arrivé d’en rêver, et ce encore aujourd’hui.

 

Que donnerais-je pour que Maman cesse de pleurer.

 

Ce sont les rayons de soleil, filtrant à travers les stores de ma chambre, qui m’éveillent le lendemain. J’émerge peu à peu, et trouve le courage de me saisir de mon portable. 8 heures 47. Il est plus que temps que je cesse de faire la marmotte.

15 avril 2010

7___ Lucia.

LUCIA

 

Cela fait déjà plusieurs minutes que j’attends mon car, tentant d’échapper à la chaleur étouffante en me réfugiant dans la maigre zone d’ombre qu’offre l’abri de bus.

 Lucille me passe devant, en trombe, et se rue dans l’autocar qui laisse tourner son moteur, avant de reprendre la route.

Lucille est une fille assez difficile à cerner, elle paraît assez froide, et calculatrice d’apparence, mais ne l’est pas tant que cela, quand on la connaît un tant soit peu. Elle a de fréquentes sautes d’humeur, et peut-être aussi déplaisante que de bonne compagnie. Cette fille possède des qualités d’intelligence et de culture, c’est indéniable, nos sujets de conversation tournent principalement autour des derniers livres dont nous avons fait l’acquisition, ou lus.

Aussi, c’est sûrement la fille avec qui je m’entends le mieux dans la classe, après Camille, son naturel froid et posé me plaît.

 

Elle est précédée de peu par Clara, qui regarde le car s’éloigner en souriant. Je l’aime bien elle aussi, mais moins que Lucille.

C’est une sorte d’astre miniature, elle transporte fraîcheur de vivre et gaieté où qu’elle se trouve. Clara a de beaux cheveux auburn tirant vers le roux, et de grands yeux verts qui lui confèrent une expression enfantine.

Mais je la trouve légèrement diminuée ces derniers temps. Elle me paraît plus maigre, moins enjouée. Peut-être est-elle malade.

-Oh, Lucia, tu me fais une place ? dit-elle en se tournant vers moi.

Je me décale légèrement vers la droite, un rayon de soleil vient fouetter mon oreille.

-Il fait vraiment super beau, continue-t-elle, dommage qu’on ne soit pas en vacances pour en profiter.

-Oui, mais dans deux jours on pourra un peu profiter, j’irai sans doute à la plage.

-Tu fais quoi pendant les vacances ?

-Je sais pas. Je pense pas aller quelque part, cette année… J’vais rester en ville.

-Moi je vais dans ma famille, en Auvergne, dans une maison avec une piscine. J’ai hâte.

Elle est toute émoustillée, et je la comprends. Chez moi, il n’y a pas l’argent pour prendre du bon temps dans une villa ensoleillée. Comme maman ne travaille plus, on a seulement les rentes, que l’assurance nous verse depuis que mon père est mort, pour régler les factures. Ce mois-ci encore, on est justes.

-Mmmh.

Devant mon manque d’enthousiasme évident, Clara s’empresse de changer de sujet.

-Hum, et, euh, d’un autre côté c’est un peu triste que ça soit la fin de l’année. A la rentrée prochaine on va tous se retrouver dans des lycées différents.

-Ouais, c’est dommage, on a eu une pure classe cette année.

-Tu vas dans quel lycée ?

-Ambroise, et toi ?

-Lavoisier, dit-elle en hochant la tête d’un air malheureux. Je serai avec Lucille, Sylvain et Laurianne.

-Enzo ne va pas dans le même lycée que vous ?

-Non, il va en Arts Appliqués à Clémenceau.

-Ah, nul pour Laurianne.

-Oui.

Cette petite conversation m’a permis une rapide prise de conscience. Je n’avais pas pensé, que c’était sûrement les derniers moments que nous passions ensemble. Avant d’être dispersés au quatre coins de la ville, en fonction des goûts, des ambitions, et du budget de chacun. Une idée me vient.

-Eh, Clara, tu sais ce qui serait bien ?

-Quoi ?

-De faire une soirée, mais genre une soirée, on inviterait toute la classe. Avec de l’alcool, et tout. Ca serait cool, non ?

-Ah oui, c’est une bonne idée ! Mais, euh, tout le monde ? J’veux dire, même Jacques ?

-Moi personnellement ça ne me dérangerait pas de l’inviter. Ma mère s’en fout, de ce que je fais. Seulement, s’il se met à balancer pour l’alcool, y’en  beaucoup qui seront… mal.

-Ouais donc on supprime Jacques de la liste. Les autres, je pense que ça ira. Rébecca voudra sûrement pas, mais on pourra quand même lui proposer, non ?

-Oui. On en parle aux autres demain, ok ?

Je m’empresse de clore la conversation, car mon bus vient d’apparaître au détour d’une rue.

-Bon, alors on fait comme ça ? A demain !

Je farfouille dans mon sac, à la recherche de ma carte, et la brandit victorieusement au chauffeur. Je m’installe sur un siège vide, et enfonce les écouteurs de mon Ipod dans mes oreilles. Je me sens bien. La perspective d’une fête entre 3ème 3 m’a littéralement expédiée sur un petit nuage.

Le bus s’éloigne du centre pour s’enfoncer dans des quartiers plus délabrés de la ville. Il passe devant mon ancien appartement. Un logement convenable, dans un immeuble blanc, en face d’une boulangerie. J’aimais bien vivre là-bas. Mais nous avons dû déménager, à cause de maman.

Voilà que les constructions deviennent de plus en plus miteuses, hautes, vieilles. Nous passons devant un vieux bâtiment désaffecté dont l’enseigne pâlie proclame «Maison de Jeunesse Edouard Corbière».

Ah, c’est mon arrêt.

Les portes coulissantes s’ouvrent en grinçant, et je descends. Le bus redémarre, dans un nuage de poussière, et je me dépêche de regagner la tour où je loge, sous un soleil de plomb.

Les quelques arbres qui bordent le trottoir sont rachitiques et totalement dépourvus de feuillage.

-Eh mademoiselle !

Oh, c’est pas vrai. Je presse le pas, sachant ce qui m’attend si je fais l’erreur de m’intéresser d’un peu trop près à cet interpellateur.

-Mademoiselle, tu veux pas venir boire un truc ?

Il m’attrape par le bras, et me retourne dans sa direction. Je me dégage vivement.

-Non, ça m’intéresse pas, dis-je d’un ton sec.

Il n’a pas l’air vraiment méchant, mais sérieusement, je ne me vois aller nulle part avec un type qui rentre son pantalon dans ses chaussettes. Je reprends ma route, et l’entend grommeler dans mon dos :

-Connasse…

Ouais c’est ça, va te faire foutre. Je pousse la porte de mon immeuble, et débouche dans le hall, qui empeste l’urine.

J’ouvre la boîte aux lettres, car bien entendu maman n’a pas été prendre le courrier. Publicité, publicité, facture, publicité… Rien de bien intéressant.

Je gravis les marches de l’escalier, jusqu’au 6ème étage. Mon étage. Un couloir sombre aux teintes défraichies, où s’aligne des portes marrons à la peinture écaillée. Je pénètre dans mon appartement.

Ca pue, et les volets sont clos. J’aperçois une masse sombre sur le canapé, ce doit être maman. J’ouvre les fenêtres, pour aérer un peu.

-Grmblblm… grommelle ma mère.

-Ca va maman, t’as fait quoi aujourd’hui ?

-Gnn, rieeen, y’a Lorenzo qu’est v’nu…

Lorenzo, c’est le copain de ma mère, si j’ose dire. Enfin, il vient que pour la sauter, je le vois jamais sinon.

-Ah, euh, et t’avais bien pris ta pilule au moins ?

Je n’aime pas avoir à prononcer ces paroles, j’ai l’impression que la mère, c’est moi.

-MERDE ! s’exclame-t-elle.

-Oh non, mamaan !

-J’vais la prendre, c’est bon, attends… grogne-t-elle en titubant vers le comptoir de la cuisine.

-Ouais, essaye toujours, mais j’suis pas sûre que ça serve à grand-chose.

-P’têtre que si j’en prends plus ça va mieux marcher…

-Non mais n’importe quoi !! Arrête ! Depuis quand tu l’as pas prise ?

-Hier midi…

-Putain, ça fait plus de 24 heures, c’est mort là… T’as vu Lorenzo hier ?

-Non.

-Bon, c’est rattrapable, panique pas surtout. J’descends à la pharmacie, bouge pas s’il te plaît.

Ni une, ni deux, je dévale les escaliers en courant, traverse la rue en trombe, manquant de me faire écraser par une Twingo, et pénètre dans la pharmacie, essoufflée.

Il règne dans la pièce une fraîcheur ambiante, c’est  agréable. J’ai l’impression de plonger dans un bain d’eau glacée.

-Bonjour monsieur.

-Bonjour, mademoiselle. Vous désirez ?

-Euh, j’voudrais une pilule du lendemain s’il vous plaît monsieur.

Il me fixe d’un œil étonné, mais obtempère. J’ai l’impression de passer pour une catin, ou un truc dans le genre, je suis réellement mal à l’aise.

-Voilà. Tu sais qu’après 72 heures, ce n’est plus efficace, hein ?

C’est bon, j’ai pas demandé un entretien avec un employé du planning familial, non plus. Je hais ce petit ton condescendant.

-Je sais, mais c’est pas pour moi de toutes façons, alors hein… Merci beaucoup. 

14 avril 2010

6 ____ Clara.

Déjà la fin de la journée ! Demain, nous sommes en week-end.

Je marche en compagnie de Lucille vers l’arrêt de bus. Nous avons empruntés un petit chemin de graviers, qui contourne le collège, un raccourci, en fait. Les bouteilles de bière et les sacs MacDo sont notre unique compagnie. Nous critiquons allègrement les têtes de turc de la classe, notre activité préférée. Et ça balance sur Erwan, Fabien, Jacques, ou Rébecca.

Vicieux, certes. Mais, avouons-le, qui ne se l’est jamais permis, ne serait-ce qu’une ou deux fois ?

Avant de devenir amies, Lucille et moi nous critiquions mutuellement. Réunies par les fruits du hasard dans la même chambre, pendant un voyage scolaire, nous avons appris à nous connaître, et nous nous sommes trouvé de nombreux points communs. Maintenant, c’est ma meilleure amie. Comme quoi, tout peut arriver.

La conversation dévie finalement sur l’amour secret de Lucille.

-Oh et tu sais quoi, Sébastien m’a prêté son livre en physique, comme j’avais oublié le mien !

-C’est génial…

Elle me donne un coup de pied.

-Oui c’est génial. Ah mais qu’est-ce qu’il est beaaau…

-Tu lui as déjà parlé ?

-Non, mais j’suis sûre qu’il est super intelligent ! N’empêche j’aimerais bien être à côté de lui pendant un cours, ce serait pratique.

-C’est sûr qu’il est plutôt pas mal, sauf que ça ne doit pas être très drôle de sortir avec lui, ce mec a aucune conversation…

-Mais t’en sais rien !

-Il parle jamais à personne, Lucille.

-Si j’suis sûre qu’il a plein d’ami à qui il parle ! Des fois, il parle à Arnaud et Sylvain, d’ailleurs.

-Oui, enfin je suppose qu’ils ont à peu près les mêmes centres d’intérêt, ils se fringuent à peu près pareil…

Le sentier débouche sur la grande rue. Nous marchons en silence sur un trottoir adjacent à la bibliothèque universitaire, de hauts platanes nous protègent de la chaleur du soleil.

-Oh merde, c’est pas mon bus, là-bas ?! s’exclame soudain Lucille.

Ni une, ni deux, la voilà qui détale en courant, aussi vite que ses courtes pattes le lui permettent. 

(désolée pour cette suite super courte :( )

13 avril 2010

5___ Clara.

CLARA

 -Eh, Clara, ça va ?

Mes yeux et ma joue me picotent légèrement, et je lève la tête vers Sylvain, la larme à l’œil. Ses pupilles marron, entourées de petits cercles transparents, sont un peu agitées par l’inquiétude.

-Oui, oui.

-Si t’as mal, tu peux le dire hein, t’as la joue en sang.

Je caresse mon visage, mes doigts se constellent vite de petites traces rouges foncées. Je prends un teint blafard, ce qui doit créer un contraste effrayant. Je n’aime pas le sang.

-Non ça va. Je vais aller me rincer le visage, et ça va partir, je pense.

Je m’éloigne précipitamment, pour cacher les larmes de douleur et de rage qui jaillissent de mes yeux. Me faire ridiculiser publiquement par Johanna, pourrait-on imaginer pire situation ?

Mon humiliation n’est cependant pas aussi complète que la sienne, et heureusement. Venir bourrée en cours, cette fille est décidément totalement stupide.

J’examine l’étendue des dégâts. J’ai le teint crayeux, et mes cheveux auburn sont en bataille. Quatre longues griffures parcourent ma joue droite. Elle m’a bien amochée…

-Clara ?

Je fais volte-face. Ce n’est que Lucille.

-Quoi ? fais-je d’une voix geignarde.

-Euh, c’est bon, ça saigne plus ?

-Si… Regarde !

-Ah ouais, quand même, dit-elle, en riant.

-Pourquoi tu rigoles ?

-Non mais j’repense à sa tête quand elle est tombée par terre, tout à l’heure, c’était assez comique.

-Elle m’a à moitié défigurée, c’est pas comique.

-Ah si, quand même, pouffe Lucille.

-Ouais… Toute la classe va se fiche de moi, à cause de ça, en plus…

-Je ne pense pas, affirme-t-elle, plus sérieuse. C’est plutôt Johanna qui va attirer l’attention, en fait.

-Ah, sur ce coup-là, elle s’est vraiment ridiculisée… Tant mieux ! j’ajoute en souriant.

Aïe. J’ai encore plus mal quand je souris.

-Je vais dire aux autres que tu vas mieux, et je reviens.

-Non c’est bon, je viens avec toi, ça ne saigne presque plus, de toutes façons…

C’est donc ensemble que nous regagnons l’endroit où nous avons laissé nos amis. Ceux-ci se sont mis à l’aise, en attendant le retour du professeur.

Laurianne est affalée entre les jambes d’Arnaud, sa tête reposant sur son épaule. Il la berce doucement, tout en jouant avec une mèche de ses cheveux bruns. Sylvain est adossé contre le mur, les yeux dans le vague, et Johan pianote sur son portable.

-Oh Clara, est-ce que ça va ? s’enquiert Laurianne.

-Oui ! je réponds en souriant, quand même heureuse que l’on s’en fasse pour moi.

Johan commence à farfouiller dans son sac, un Eastpack noir à porter en bandoulière, et en sort un paquet de mouchoirs. Il m’en tend un.

-Tiens, j’pense que ça risque de recommencer à saigner.

-Ouais, merci.

J’applique le papier contre ma joue, ça me brûle. Je m’assoie aux côtés de Sylvain.

-T’as vraiment une sale tête.

-Je viens de me faire frapper par une furie aux ongles limés comme des épées, à quoi tu t’attends ? je rétorque.

-T’essuies au mauvais endroit, t’as du sang plein la joue…

-Ah Sylvain tu m’énerves ! T’as qu’à le faire, toi, tiens, prend le mouchoir !

Je lui fourre dans les mains le Kleenex déjà presque usagé, qu’il regarde d’un air légèrement dégouté.

-T’en aurais pas un propre, plutôt ?

-Oh, c’est que du sang.

Sylvain se penche sur moi, et commence à me tamponner la joue avec le papier. Je devais m’y prendre mal, parce qu’avec lui ça ne brûle pas.

-On dirait une maman qui s’occupe de sa fille, dit Johan.

-Mais ta gueule, dit Sylvain en rigolant.

Il dérape légèrement, et m’arrache une grimace.

-Sylvaaain, fais gaffe !

-Pardon.

Je croise son regard préoccupé et me détourne aussitôt. Cette proximité n’est pas désagréable, mais un peu gênante, à vrai dire.

-Bon, j’pense que c’est bon, t’as qu’à tenir le mouchoir sur ta joue.

Je lui adresse un large sourire en guise de réponse. Lui m’ignore promptement, et retourne parler à Arnaud. Sylvain est quelqu’un de très taciturne, mais je n’apprécie pas ce genre d’attitude.

Une douleur à la nuque me saisit soudain. Ces raideurs sont de plus en plus fréquentes, depuis que j’ai eu une otite, il y a deux semaines. Il faudra que j’en parle à maman, si elle prend seulement le temps de m’écouter. Je me masse la nuque en grimaçant de douleur.

Mais voilà Evan qui s’approche, tout sourire.

-Ca va mieux, Clara ?

-Non, j’ai maaaaaal, je m’exclame en me jetant dans ses bras, feignant les sanglots.

Il me fait tourner de droite à gauche, tandis que je m’accroche à son T-shirt. Les autres se marrent.

-C’est trop mignon, dit Laurianne entre deux éclats de rire.

-Tu viens on va faire un tour, dit Evan.

Je ne peux pas résister à la joie contagieuse qu’émettent ses grands yeux, dont la teinte verte est exactement similaire à la mienne, et m’accroche à son dos, tel un bébé koala. Nous partons, hilares, comme deux gamins que nous sommes. J’improvise une petite chanson aux paroles répétitives que j’entonne tandis qu’il me trimballe dans le couloir du 2ème.

-Ah c’que t’es lourde Clara, redescends.

-Non.

Evan me fait basculer en arrière, et je m’écrase contre le sol, en poussant un petit cri strident.

-Mais j’suis handicapée, ça ne se fait pas Evan !

Je m’assois en tailleur, et le fixe d’un air boudeur.

-A ton avis, elle va avoir quoi Jo ?

-J’espère qu’elle sera virée, et ce sera tant pis pour elle.

-Elle peut être sympa, observe Evan.

-Comment tu peux dire ça ? je m’offusque. C’est une cruche ! Elle ne t’aime pas non plus.

Il se mord la lèvre inférieure, apparemment blessé. Evan est quelqu’un de profondément gentil, presque autant que Laurianne, alors lui faire de la peine me serre un peu le cœur.

Je lui enlace le cou, et lui murmure affablement :

-Désolée, en fait, je ne pense pas qu’elle te déteste tant ça. Juste que j’étais énervée contre elle.

-C’est bon, c’est rien. Au fait, ajoute-t-il tournant son visage vers le mien, ça avance avec Sylvain ?

Je rougis comme une tomate, et me décolle promptement de lui.

-Qu’est… Qu’est-ce que tu racontes ?

-Oh allez, c’est bon, vous êtes trop mignons tous les deux, dit Evan en essayant de m’attraper les joues.

Je me lève, comme si on avait fait quelconque offense (à vrai dire, c’est le cas), et retourne en direction de la salle de classe.

-Clara !

-Je ne t’écoute pas !

-Oh c’est bon Clara, j’te taquinais !

Je fais volte-face, et tombe nez-à-nez avec un garçon hilare, qui tente de me rattraper.

-Moi, je trouve pas ça drôle.

-Bon allez on va en cours.

-Ouais, ah mais Evan, j’te préviens ! T’as pas intérêt à avoir un sourire, euh, narquois, quand je parlerai avec Sylvain.

-Non, je serai sage.

Les choses étant mises au clair, nous nous dirigeons vers notre salle de cours. Les autres ne sont pas encore rentrés. Il en met, un temps, M. Marchal !

-Allez, on se range sur le côté du couloir !

Quand on parle du loup.

Je me joins au rang d’élèves, et me place aux côtés de Lucille, tandis que le prof nous fait pénétrer dans la salle de classe.

Après nous avoir fait asseoir, et réclamé le silence, M. Marchal prend la parole, le semblant grave :

-J’aimerais savoir ce qu’il s’est passé avec Johanna.

Bien évidemment, personne ne pipe mot.

-Elle semblait, à vrai dire, un peu confuse. Mais elle a réussi à me faire comprendre qu’une de ses camarades l’avait agressée.

Oh, c’est pas vrai… Dans quelle galère me suis-je embarquée ?

-Oui Clara, c’est à toi que je m’adresse, enchaîne-t-il en se tournant vers moi.

-Mais m’sieur, j’ai rien fait !

-Ce n’est pas ce que semblait vouloir dire Johanna. Elle était en larmes, figure-toi.

Je suis indignée. Mais que cherche cette fille ? Je n’aurai, de toutes manières, pas de mal à me disculper.

Je considère M. Marchal d’un œil flegmatique.

-Elle vous a menti, moi je n’y suis pour rien. C’est elle qui m’a frappé, en plus, regardez ce qu’elle m’a fait, je dis en montrant ma joue blessée.

Ce professeur est assez fourbe, en fait. En réglant ses comptes avec moi en présence des autres élèves de la classe, il pense certainement que j’aurai plus de difficultés à me défendre. Il se fourre le doigt dans l’œil.

-Il doit bien y avoir une raison à cette affaire, tout de même. Johanna ne t’aurait pas frappée sans raison, tout de même, tu dois avoir une part de responsabilités, et ce serait bien que tu l’assumes, Clara.

-Vous avez qu’à demander aux autres, j’vous jure que j’ai rien fait !

Un silence de plomb s’abat sur la salle.

-Alors ? demande le professeur, à l’attention de tous les élèves.

Mais qu’est-ce que je fais parmi ces empotés ? Ils pourraient quand même m’aider, je ne sais pas, moi !

Laurianne, loué soit son nom, prend finalement la parole :

-Euh, en fait elle a raison, Johanna a un peu… pété un plomb.

Ses mots sont suivis d’un mouvement d’approbation général. Je me tourne vers le prof, l’air incroyablement suffisant.

-Très bien. Clara, il faudra tout de même que tu passes au bureau de la CPE, demain, à 10 heures, pour t’expliquer avec Johanna.

La belle affaire ! Ils ne s’imaginent pas une seule seconde que j’ai peut-être des choses plus importantes à régler que de m’expliquer avec une fille hystérique traversant une difficile (surtout pour son entourage) crise d’adolescence ?

-Oui oui…

-Bien, nous allons donc reprendre le cours sur les chromosomes, je disais donc au cours précédent que la trisomie 21 est une anomalie du…

Je plonge alors dans un état second et m’endors à moitié sur ma paillasse. 

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